mardi 2 octobre 2012

Dans la paella valencienne, il n'y a pas de petits pois !



On commence à sentir l’automne pointer le bout de son nez : les feuilles qui jaunissent, la température qui baisse, le vent qui se lève, le soleil qui est plus bas, les jours qui raccourcissent et l’apparition des manteaux. L’été n’est pourtant pas si loin, j’ai l’impression que c’était hier que j’étais en Espagne dans ma famille, mangeant la paella de Pedro et buvant le vin de la Bodega de Los Frailes. Une envie de prolonger encore un peu l’été à travers un article, de parler de la paella, la ‘vraie’, celle de la famille et non cet ersatz industriel servi aux touristes, de bar à vin et de restaurant qui essaient de mettre en valeur la gastronomie et le vin du coin.

Lorsque je vais chez mes parents, à Xeraco dans la région de Valencia, j’ai mes petites habitudes : demander à ma mère de cuisiner mes plats préférés qu’elle est la seule à faire aussi bien, réserver une table chez Rubén, boire l’apéro chez La Pureta et manger la paella de Pedro. La cuisine de ma mère, j’en parlerai une autre fois et peut-être en compagnie d’une autre blogueuse. Le restaurant de Rubén, Vins i Més, c’est un peu ma cantine. Je suis accueillie telle une amie de la famille, comme à la maison. Rubén et sa femme sont des passionnés de vin. Ils passent leurs vacances à parcourir les vignobles espagnols et étrangers. Nous échangeons sur le vin, je leur fais goûter des vins français et eux me font découvrir des domaines espagnols. Dans leur restaurant, le mot d’ordre est une cuisine de saison, avec des produits frais et locaux et un respect du produit. Sans parler de leur assiette de fromages artisanaux…


La Pureta, c’est une ambiance de bar de quartier qui accorde une place privilégiée aux vins régionaux, proposés également à la vente à emporter. Les vins de la région (appellations : Valencia, Utiel y Requena, Alicante) sont loin d’être mis en avant chez les cavistes, bar à vins et restaurants. Combien de fois n’ai-je entendu cette phrase : les vins de la région ne sont pas bons[1] ! On retrouve, en revanche, les mêmes références ici comme ailleurs de Rioja, Ribera del Duero, Penedés et compagnie. Aucune originalité géographique. C’est désespérant. Chez La Pureta, on pense différemment, on met en avant les vins de la région, on fait goûter à l’aveugle pour combattre les a priori et convaincre les plus septiques. Petite cerise sur le gâteau : le verre de vin est accompagné par quelques tranches d’un excellent jambon ibérico. 


Passons maintenant à la paella, sujet ô combien passionnel, en ce qui me concerne. Lorsque j’étais étudiante mes amis français, pour me faire plaisir, m’emmenaient dans un restaurant servant de la paella ou achetaient de la paella déjà préparée. Je me souviens de mon étonnement à la vue des ces satanés petits pois, de l’espèce de chorizo ultra pimenté et de ne pas réussir à m’empêcher de leur dire que non, ce n’est pas de la paella et non, je ne peux pas manger ça. Oui, je sais, je suis horrible avec la paella. Mais je n’y peux rien, la paella, c’est une histoire familiale, culturelle et gastronomique, chère à mon cœur. Ce sont des souvenirs d’enfance, la paella des vacances, celle de ma grand-mère. Et puis, plus tard, celle de Pedro.

A l’origine, il s’agit d’un plat de paysan apparu dans les campagnes levantines au 19ème siècle. Il comportait essentiellement du riz, des légumes, des escargots (et oui, on mange aussi des escargots !) et parfois de la viande (lapin ou volaille) ou des anguilles[2]. La viande étant un symbole de richesse, elle est ajoutée les jours de fête. C’est un plat de terre et non de mer. Elle porte le nom de son contenant de cuisson que l’on transporte facilement lorsque l’on va travailler au champ et qui permet une cuisson découverte, en plein air. La paella va progressivement s’urbaniser – et se transformer, en laissant une plus grande place aux viandes – avec l’exode rural vers les villes industrielles. Puis au cours du 20ème siècle, elle va s’imposer comme symbole de l’hispanité, poussée par une volonté politique d’en faire un symbole identitaire national malgré son ancrage local. Et oui, la paella n’est pas le plat national mais bien un plat régional valencien. Le tourisme des années 1960-1970 achèvera d’élever la paella au rang des icônes de la gastronomie ibérique avec pour conséquence de nombreuses transformations[3] dans son élaboration. 


Alors la ‘vraie’ paella valencienne c’est quoi ? Commençons par l’ingrédient principal de la paella : le riz. Contrairement, à ce que j’ai pu lire[4] – et voir – c’est un plat élaboré avec du riz rond. Il en existe différentes sortes en fonction du type cuisson, on peut ainsi aboutir à du riz sec, crémeux ou en sauce[5]. On ajoute des légumes, plusieurs sortes de haricots[6] mais pas de petits pois. Jamais ! De l’huile, de la tomate, de l’eau, du safran, du sel et quelques morceaux de viandes (lapin et poulet). C’est la recette de base, la classique. Néanmoins, à côté de cette version orthodoxe, il existe des variantes selon les localités valenciennes. On peut ainsi y mettre des côtelettes de porc, des boulettes de viande, du canard, de l’anguille, de l’ail, des artichauts, du romarin et des… escargots. Pas de chorizo, pas de poisson (sauf des anguilles), pas de crustacés et pas de fruits de mer, sinon ce n’est pas une paella valencienne[7]. La cuisson traditionnelle se fait dans un plat spécifique ‘paellera’ (en métal et non en terre cuite) au feu de bois, les puristes utiliseront du bois d’oranger.  


Mais la paella ce n’est pas uniquement une liste d’ingrédients, cuisiner et manger la paella, c’est avant tout un rite social culinaire. C’est un plat que l’on aime préparer et partager avec de nombreux invités. Chaque convive peut participer à son élaboration sous la direction d’un cuisinier expérimenté[8] – c’est souvent un homme – qui maîtrise à la perfection la délicate cuisson du riz. Il expose son savoir-faire aux critiques qui peuvent être élogieuses ou… pas, les femmes étant les plus sévères. Ainsi on débâtera sur la quantité de riz, l’utilisation de l’eau, le reste de sauce et surtout de la technique du ‘socarrat’ : la couche de riz grillé qui reste collée au fond de la paella et qui concentre toutes les saveurs. 


Le rituel social continue dans la manière de consommer la paella. Lorsque l’on pose la paellera au centre de la table, chacun avec sa cuillère va délimiter ‘sa part’ et manger directement dans le plat[9]. Une formule en dialecte valencien explique très clairement la bonne façon de se comporter face à une paella: "Cullerà i pas enrera" ("cuillerée et pas derrière"), il faut manger sa part et laisser la place aux autres. Et celui ou celle qui ne respecte pas cette règle élémentaire de savoir-vivre, se fera violemment réprimander et dans le cas d’une récidive ne sera plus invité. On ne plaisante pas avec la paella ! 

Pour conclure cet article, une petite vidéo de Pedro en action, le meilleur cuisinier de paella du village. 





[1] Les locaux sont restés imprégnés de l’image des vins d’autrefois. Ces appellations étaient par le passé plutôt productrices de vins en vrac de piètre qualité mais ce n’est plus le cas depuis plusieurs décennies ! Un vrai tournant a été opéré depuis les années 1980 et cette région élabore d’excellents vins à des prix bien plus accessibles que les appellations à la mode. Voir mon article sur l’appellation Valencia : Valencia : une appellation montante.
[2] En fait, tout ce que le paysan pouvait ajouter provenant des ses champs, de sa ferme ou de la pêche dans les rivières.
[3] On voit apparaître les fruits de mer et les crustacés, les produits provenant de la mer se mêlent à ceux de la terre, c’est la célèbre paella mixte puis la paella industrielle fera son apparition.
[4] Enrico Bernardo, n’hésitait pas à affirmer dans la RVF que contrairement au risotto, la paella n’était pas élaborée avec du riz rond.
[5] Les 3 variétés de riz valencien AOC sont senia, bahia et bomba. La dernière étant la plus prisée pour faire la paella et notamment par Pedro. 
[6] Haricot plat ou haricot coco (“Ferraura” ou “bajoqueta”), haricot Garrofe (“Garrofó”).
[7] Depuis mai 2012, la recette de la paella valencienne est désormais protégée par une AOC qui autorise seulement l’utilisation de 10 ingrédients avec une tolérance pour les variantes spécifiques à certaines localités valenciennes.
[8] Laver et découper les légumes, couper la viande, faire les boulettes, etc… seule la cuisson du riz, pierre angulaire de la paella, est sous l’entière responsabilité du cuisinier expérimenté.
[9] Pas d’assiette et pas de fourchette. Seuls ceux qui sont trop loin pour atteindre la paella ou les enfants mangeront dans une assiette.

2 commentaires:

  1. Eh bé, si c'est pas une leçon de savoir vivre, ça... Bravo et merci !

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    1. Merci Michel ! Vous ne verrez plus la paella de la même façon ;-)

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